Le 13 Mai 2000
Il faut relancer l'idée fédérale

      Europe élargie et Union politique

La consultation des sections locales et associations membres a montré combien était forte l’aspiration des militants du Mouvement européen - France à ce que l’Union européenne retrouve, dans la perspective des nouveaux élargissements, une dynamique d’approfondissement qu’elle a perdue depuis la signature du Traité de Maastricht, malgré le passage à l’euro.

La conférence intergouvernementale, qui s’est ouverte sous présidence portugaise et doit s’achever d’ici la fin de l’année sous présidence française, constitue une étape importante non seulement pour améliorer l’efficacité des institutions européennes, mais aussi pour aller plus loin sur la voie de l’intégration.

Europe élargie et Union politique sont aujourd’hui indissolublement liées.

 

1- L’élargissement est à la fois une chance et un défi pour l’Union européenne

      Des négociations d’adhésion ont été ouvertes, en mars 1998, avec les six premiers candidats (Chypre, Estonie, Hongrie, Pologne, République Tchèque, Slovénie) conformément à la décision du Conseil européen de Luxembourg, puis tout récemment, en février 2000, avec les six autres candidats (Bulgarie, Lettonie, Lituanie, Malte, Roumanie, Slovaquie) conformément à la décision du Conseil européen d’Helsinki, soit au total douze conférences. La Turquie s’est vu reconnaître, à Helsinki, le droit d’entrer en négociation dès lors qu’elle remplira les critères politiques définis au Conseil européen de Copenhague.

      L’élargissement de l’Union européenne à douze pays candidats plus la Turquie constitue un acte politique majeur pour l’ensemble du continent européen. Il n’est pas seulement l’expression d’une volonté de mettre fin aux séquelles de la guerre froide et de tirer les enseignements de la guerre au Kosovo. Il est aussi la reconnaissance de la légitimité des aspirations des pays candidats à la prospérité économique et sociale et à la sécurité intérieure et extérieure, sans porter atteinte à leur identité nationale. Il est, enfin, un encouragement à ce que les efforts importants consentis par ces pays pour créer un état de droit, rattraper leur retard économique et reprendre l’acquis communautaire soient poursuivis.

      Le processus d’élargissement entre dans une phase décisive à un moment où la zone euro est constituée et où la croissance se consolide en Europe sous l’effet de la reprise de l’investissement et de l’émergence de la nouvelle économie. Garantie de stabilité pour l’Europe entière, il correspond donc à la fois à notre devoir politique et à nos intérêts stratégiques et économiques. Une préparation sérieuse de la part de l’Union européenne conditionne sa réussite.

      Cet élargissement demeure un processus complexe qui ne ressemble à aucun des quatre élargissements antérieurs où il s’agissait d’étendre le modèle d’intégration sans bouleverser les institutions de l’Union, les politiques communes et les ressources propres et de faire reposer l’essentiel de l’ajustement sur les candidats eux-mêmes.

      En effet, la Commission européenne n’a jamais négocié avec des pays candidats, en aussi grand nombre et aussi hétérogènes. Malgré un effet de rattrapage récent dû à des politiques économiques courageuses, le niveau de développement économique et social de la plupart des pays candidats demeure sensiblement inférieur à celui des neuf Etats membres qui ont adhéré précédemment. Leurs structures économiques et sociales sont souvent fragiles, avec des conséquences lourdes en termes de chômage, de sous-emploi, de dysfonctionnement des services publics et sociaux et d’aggravation de la situation des femmes. Des conflits ethniques restent latents. Les progrès de l’Etat de droit et la culture de la négociation dans nombre de pays candidats sont insuffisants. La reprise de l’acquis communautaire ne s’appuie pas, comme pour l’Autriche, la Finlande et la Suède, sur l’apprentissage de règles et disciplines communes dans le cadre de l’Espace économique européen. Enfin et surtout, il ne s’agit plus seulement d’adhérer à une Union douanière ou à une Communauté économique, mais à une Union à trois piliers qui ont, chacun, leurs règles, leur acquis et leur dynamique et qui impliquent l’adhésion à un projet politique commun.

      Le principe de différenciation selon lequel les progrès dans les négociations dépendront uniquement des " mérites " de chacun est mis en avant par la Commission pour montrer que tous les candidats sont sur un pied d’égalité. Mais il ne constitue pas un mandat de négociation suffisant.

      Dès lors, le risque est grand, s’agissant du premier pilier, que les négociations se concluent avec des délais de transition d’autant plus longs ou des dérogations d’autant plus étendues, pour la reprise de l’acquis communautaire et des politiques communes, que l’Union renoncera à réformer ces politiques communes ou à en assurer le financement. En outre, il est à craindre que les pays candidats ne prennent prétexte des dérogations obtenues par certains Etats membres pour en réclamer pour eux-mêmes.

      Il faut, au contraire, prendre le temps de traiter à fond tous les problèmes qui se posent, en privilégiant les solutions les plus respectueuses de l’unicité du marché intérieur, en aidant les pays candidats à s’adapter aux règles et disciplines de l’Union et en ne leur faisant pas porter tout le poids de l’ajustement économique et social. Il faut aussi reconnaître et expliquer, dès maintenant, aux opinions publiques que le coût de l’élargissement sera élevé et nécessitera dans certains secteurs de nos économies (agriculture, pêche, industrie de première transformation) des efforts de restructuration mais qu’il trouvera sa contrepartie dans une croissance plus soutenue et dans de nouveaux débouchés, à l’instar de l’élargissement à l’Espagne et au Portugal.

      Le risque est aussi grand, s’agissant des deuxième et troisième piliers, que la négociation ne se limite à une vérification à la sauvette que chaque pays candidat approuve les objectifs de l’Union politique. Une telle fuite en avant conduirait tôt ou tard l’Union européenne élargie à la paralysie et au recul de son processus d’intégration.

      Enfin, il faut réaffirmer que ce grand élargissement ne saurait se faire au détriment des solidarités anciennes avec les pays du sud de la méditerranée et avec les pays ACP.

      C’est en ce sens que ce processus est à la fois une chance et un défi pour l’Union européenne.

2- L’objectif fédéral doit être clairement reconnu

      Mais une Europe ainsi élargie implique, au préalable, dans les Etats membres une réflexion et un débat approfondis sur la nature même de l’Union auxquels les pays candidats doivent être associés. Les Quinze doivent avoir le courage de clarifier le projet politique qu’ils entendent conduire dans les prochaines décennies, en termes de valeurs partagées, de principes d’organisation et d’ambitions internationales.

      Deux conceptions de l’Europe s’affrontent, depuis longtemps, au sein même de l’Union, comme l’a rappelé le débat sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’Autriche :
- celle d’une Europe qui, forte de son unification économique et monétaire, s’affirme comme une Puissance politique maîtresse d’elle-même, exigeante pour sa sécurité extérieure et intérieure, intransigeante partout où les droits de la personne humaine, la démocratie ou le respect des minorités sont menacés et solidaire vis-à-vis des pays en développement ou en transition ;
- et celle d’une Europe qui se réduit au Marché unique assorti de quelques politiques de régulation avec des risques de dérive vers une vaste zone de libre échange, qui est limitée dans ses ambitions politiques et qui se satisfait d’une conception limitée et hésitante de la sécurité du continent.

Le Mouvement européen - France se retrouve dans la première conception.

      Pour lui, l’Union européenne se définit d’abord par l’attachement de ses Etats membres à des valeurs communes. Elle se définit aussi par la volonté de ses peuples de se réunir et par les objectifs politiques ambitieux qu’elle se fixe pour concrétiser progressivement l’objectif fédéral, c’est-à-dire la création non pas d’un super-Etat centralisé mais d’une Union disposant d’un système institutionnel sui generis soumis au principe de subsidiarité et régi par un cadre constitutionnel. Elle se caractérise enfin par des institutions et des procédures qui permettent de faire prévaloir l’intérêt général, tout en prenant en compte les spécificités nationales.

      Or, ces trois composantes intégrantes de l’Union sont aujourd’hui défaillantes. Les valeurs les mieux partagées sont contestées, les comportements identitaires foisonnent, l’ambition politique s’étiole, les institutions et le processus de décision communautaire sont en voie de paralysie, l’intergouvernemental se développe avec la tentation de se placer en marge du cadre et des méthodes de l’Union. La gouvernance de l’Union est en crise, ce qui, pour l’opinion publique, est d’autant moins compréhensible qu’on n’a jamais vraiment pris la peine de lui expliquer sa raison d’être et ses règles.

      Dans ce contexte, l’engagement en faveur d’une relation exemplaire entre la France et l’Allemagne sans exclusive est essentiel.

      De même, la conférence intergouvernementale sur la réforme institutionnelle n’en revêt que plus d’importance. Non seulement les trois questions laissées en suspens par le traité d’Amsterdam doivent être réglées, mais il faut aller plus loin.

      S’agissant tout d’abord de ces trois questions, le Mouvement européen – France se prononce en faveur des orientations suivantes :
- La Commission européenne doit retrouver sa capacité d’initiative et de gardienne des traités et son caractère collégial. Cela implique que le nombre des commissaires soit restreint pour préserver l’efficacité de son travail. Cela signifie aussi que son président dispose de pouvoirs clairement définis pour organiser, coordonner et guider le travail de l’institution.
- La décision à la majorité qualifiée doit progressivement devenir la règle. Elle doit aller de pair, dans les matières du premier pilier, avec l’extension de la codécision.
- Le processus de décision doit être révisé pour corriger l’effet de sur-représentation des petits Etats membres qui se trouvera renforcé du fait de l’élargissement, soit par la pondération des voix soit par le système de double majorité.

       Ces trois points, dont le règlement est prioritaire, ne sauraient constituer la seule finalité de la CIG. Trois autres grandes questions devront être tranchées :
- Les coopérations renforcées, qu’il conviendrait d’appeler les solidarités renforcées, doivent être reconnues, car elles peuvent faire progresser l’Union. Elles ne doivent pas être subordonnées à l’exercice du droit de veto d’un Etat membre ni s’appliquer aux domaines déjà traités par l’Union dans son ensemble. En revanche, elles doivent pouvoir s’appliquer au deuxième pilier, moyennant des mécanismes appropriés de flexibilité allant au delà de l’abstention constructive, et doivent être organisées pour permettre d’aller plus loin dans la voie d’une intégration plus poussée autour du moteur franco-allemand.
- La charte des droits fondamentaux doit reconnaître les droits fondamentaux civiques et sociaux, à égalité avec les droits économiques. Elle doit donc être intégrée au Traité, parce qu’il ne peut pas y avoir de droits dont la violation ne soit pas sanctionnée.
- La coordination des politiques économiques nationales devra être renforcée, tant il est vrai que le Conseil de l’Euro-11 ne constitue pas le véritable contrepoids à la Banque centrale européenne.

       D’autres mesures ne relevant pas d’une modification du traité devront être aussi prises. Cela concerne au premier chef le fonctionnement du Conseil qu’il convient d’améliorer, en particulier dans certaines de ses formations, et la simplification de la comitologie. Cela concerne aussi, pour la France, la nécessaire réforme du mode de scrutin aux élections européennes.

      Mais la profonde réforme institutionnelle, dont le Mouvement européen – France affirme la nécessité depuis de longs mois, n’est pas une condition suffisante pour réussir le nouvel élargissement. Elle doit être complétée, dès maintenant par une réflexion sur les objectifs, les politiques et les ressources financières d’une Union élargie, c’est-à-dire sur les conditions d’une intégration réussie.

      S’agissant des objectifs, deux clarifications sont nécessaires : d’une part, l’importance nouvelle donnée depuis Amsterdam à la définition d’un modèle social européen exige qu’en soient précisées les implications pour les pays candidats ; d’ autre part, il convient de clarifier, de manière compréhensible par les citoyens européens, les compétences respectives de l’Union et des Etats membres conformément au principe de subsidiarité.

      Quant aux politiques communes, elles doivent pouvoir fonctionner dans le cadre d’une Union élargie, à égalité de droits et de devoirs entre tous les Etats membres.

 

3- Le financement des politiques communes doit être assuré

      La négociation sur l’agenda 2000 a été longue et difficile. Le Conseil européen de Berlin a réglé les dossiers les plus brûlants en définissant un cadre financier pour 7ans. Il n’a pas pour autant réglé tous les problèmes. En effet, il se situe dans une problématique d’Europe à quinze sans prendre en compte complètement la perspective des élargissements. Il rompt surtout avec une conception de la solidarité qui a prévalu jusqu’alors. Les nouveaux Etats membres bénéficieront d’une extension partielle de la politique agricole commune et des fonds structurels.

      Le Conseil européen d’Helsinki ayant modifié la donne, l’accord financier pluriannuel devra être révisé avant les premières adhésions.

      La réouverture du paquet de Berlin doit être l’occasion de sortir du raisonnement étroit des soldes nets en acceptant de relever le plafond des ressources propres. Les performances économiques des pays de la cohésion bénéficiaires en 1992 du fonds de cohésion et les avantages commerciaux qu’en tirent les autres Etats membres ne sont-elles pas là pour montrer que la solidarité entre Etats membres est bénéfique à l’ensemble de l’Union ?

      Elle doit aussi permettre de poser le problème de la création de véritables ressources propres à caractère fiscal.