Télécharger ce texte au format PDF
Si vous ne disposez pas d'Acrobat Reader cliquez ici

 

26 avril 2003

Compte rendu de la rencontre européenne du 26 avril 2003
Crise internationale, quelles leçons pour l'Europe ?




Ce compte- rendu est proposé à titre indicatif et ne saurait engager la responsabilité des personnalités citées.


Ouverture, par Anne- Marie Idrac

Pour Anne- Marie Idrac, le fait que plus de 600 personnes participent à cette rencontre montre que l'importance attachée par le MEF au fait de se saisir de la question de la construction européenne, dans un contexte particulièrement marqué par une crise internationale et par l'élargissement de l'Union, est justifiée.

L'actualité européenne de ces derniers mois a souvent été analysée sous un angle catastrophiste, avec, en toile de fond, la peur de la dilution de l'Union européenne.

Le MEF souhaite que la Convention et l'arrivée de nouveaux membres permettent de répondre aux défis que l'Europe devra relever, en particulier en matière de PESC. En effet, les besoins d'Europe ressentis par les citoyens, comme le montrent les sondages eurobaromètres, sont nombreux. Dans le domaine de la politique extérieure, en particulier, ils souhaitent que l'Europe existe pleinement sur la scène internationale, et qu'elle se dote des moyens nécessaires pour asseoir sa crédibilité politique.

Il est essentiel que les dirigeants répondent à ces attentes.


Intervention de Jacques Delors

Ayant développé ses analyses sur la PESC lors de la rencontre du MEF du 6 juillet 2002, Jacques Delors ne reviendra pas sur certains aspects. La Convention est d'ores et déjà un succès. Qu'on la compare seulement aux réunions préparatoires à la CIG, où les diplomates sont tenus par un mandat impératif ! La Convention a permis l'éclosion de beaucoup d'idées.

1/ Le défi de la nouvelle situation internationale

" Qui, franchement, a été surpris des divisions manifestées par les Etats membres de l'Union à l'occasion de la deuxième crise irakienne ? " Nos pays ont un héritage, des traditions politiques, des orientations de leur diplomatie qui font qu'on ne peut pas leur demander du jour au lendemain d'avoir une PESC. Quelles que soient les aspirations des opinions publiques, on ne peut pas ignorer ces réalités. Il suffit de voir nos divergences à propos de la tragédie yougoslave. Il faut donc se demander, compte tenu de ces différences, comment nos pays peuvent raisonnablement mener des actions communes, avec les moyens nécessaires à leur disposition.


Concernant la relation transatlantique, il est impensable qu'il n'y ait pas davantage de compréhension entre les Etats- Unis et l'Europe. Cette relation est un fondement pour une meilleure organisation du monde et pour la paix. Dès avant Maastricht, beaucoup de pays membres considéraient que la défense relevait de l'Alliance atlantique. C'est toujours le cas et il en est de même pour les pays candidats.

Comment gérer l'unilatéralisme américain ? Il ne s'agit pas seulement de l'Irak, mais de commerce international et de gouvernance mondiale. Ce qui handicape l'Union, au-delà de ses divisions, c'est la distance qu'il y a toujours entre le dire et le faire. " Est-ce que l'institution d'un ministre européen des affaires étrangères européen est le remède miracle ? Non ! " Il faut que l'on progresse raisonnablement, sans promesse vaine. Il faut donc envisager un Monsieur PESC, à la fois dans la Commission et hors de la Commission, afin qu'il ait tous les instruments entre ses mains. Proposons des actions communes et voyons qui s'y rallie.

2/ Défi de l'adaptation du modèle socio- économique de l'Europe

C'est le seul point sur lequel les travaux de la Convention sont vraiment décevants. N'a-t-on rien retenu des récents soubresauts du système capitaliste ? Si le système capitaliste est le moins mauvais système, il faut garantir un équilibre entre marché et régulation. Nous ne donnons pas le bon exemple. Il suffit de regarder le déséquilibre entre l'Union économique et l'Union monétaire.

Par ailleurs, la constitution ne prend pas en compte notre spécificité. Pour qu'une société fonctionne, il faut qu'elle accepte le conflit. " Ne pas reconnaître le droit de grève et le droit de coalition des syndicats dans la constitution, c'est prendre parti pour un modèle différent qui est le modèle du benchmarking ". Une société a besoin de clignotants pour signaler ce qui ne va pas.

3/ Le défi de l'efficacité

Il faut un bon compromis entre la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale. Sans pour autant demander plus de compétences pour la Commission, il faut reconnaître l'efficacité du modèle communautaire. Pourquoi ne pas réformer le Conseil européen ? La rotation semestrielle présente des inconvénients et il faut trouver une solution. Cela implique un Président de l'Union européenne. Il faut qu'il soit un " chairman " qui préside le Conseil européen pendant 2 ou 3 ans, avec une équipe présidentielle composée de représentants des pays changeant chaque année. Les petits pays pourraient ainsi être plus régulièrement représentés.

Le Conseil des Affaires générales est la pièce essentielle. Il doit fixer un agenda clair, préparer les Conseils Européens.

La Commission doit rester indépendante et collégiale. Elle doit rester responsable devant le Parlement européen et devant le Conseil. Pendant encore dix ans, la Commission devra compter un Commissaire par pays.

4/ Le défi de la citoyenneté

La double majorité (majorité simple et majorité des populations) est une garantie démocratique .
Concernant la répartition des compétences, il faut maintenir à la nation les politiques qui lui permettent de renforcer la cohésion sociale et la cohésion nationale. Cela n'empêche pas la coopération intergouvernementale. Il faut conserver les moyens de maintenir le sentiment d'appartenance.
Si la participation des parlements nationaux peut être positive, il faut prendre garde à ne pas paralyser le système.

Le devoir de la Convention est de codifier les coopérations renforcées dans la constitution. Si elles sont essentielles au progrès de l'Union, elles ne doivent pas ouvrir la voie à une Europe à multiples vitesses.
Il convient aussi de défendre la méthode communautaire, qui est menacée actuellement.
Enfin, si les institutions sont nécessaires, et si elles doivent être améliorées, il faut garder à l'esprit qu'elles n'ont jamais fait de miracle et qu'elles ne peuvent pas remplacer la volonté politique.


Table ronde

Eneko Landaburu, Directeur général en charge de l'élargissement à la Commission européenne

Eneko Landaburu a ouvert la table ronde en rappelant l'importance historique de l'élargissement et la volonté sans faille des pays qui vont rejoindre l'Union de partager des valeurs, un espace politique de sécurité et d'œuvrer en faveur de la prospérité. Les réformes nécessaires ont demandé beaucoup de courage politique et des efforts importants de la population. Jamais aucun élargissement n'a été aussi bien préparé.

Pour les citoyens, le coût de l'élargissement est très faible et des gains importants sont à attendre pour les entreprises. Si, lors du Sommet de Copenhague, aucun débordement de joie n'était perceptible, le rêve des pères fondateurs est pourtant enfin accessible.

Concernant la question de la défense, celle-ci apparaît aux pays candidats comme liée à l'OTAN. Il y a donc au sein de l'Union des différences sur le projet, mais ces différences ne se situent pas entre anciens et nouveaux membres. Dans le cas des nouveaux membres, il apparaît même normal que le récent recouvrement de leur souveraineté entraîne des différences d'appréciation par rapport à la notion de sécurité.

Concernant le modèle économique et social, il est nécessaire de poser clairement et franchement le débat. Il ne faut pas oublier la question du renouvellement du modèle social.

Des divergences et des interrogations sont apparues sur le projet et sur la méthode. Il faut donc permettre une différenciation afin de ne pas réduire l'ambition du projet européen. Il faut aussi déterminer le budget de l'Union à 25 et les politiques qu'il doit financer dans les prochaines années, en gardant à l'esprit que la réussite de l'élargissement implique une réelle politique de cohésion.

Sandra Kalniete, Ministre des Affaires étrangères de Lettonie, membre de la Convention

Pour Sandra Kalniete, la réunification de l'Europe est un projet qui bénéficie à tous les Etats membres et candidats. L'Europe est notre projet commun et non une zone de libre échange. C'est une zone de paix et de stabilité. L'élargissement est un aboutissement logique de ce processus de construction. Cet isolement a été très douloureux pour les pays d'Europe centrale, orientale et balte.

Nous sommes prêts à contribuer aux politiques européennes. Nous voulons une Europe puissante, avec un lien de solidarité fort entre les Etats Unis et l'Europe. L'identité européenne n'est pas anti-américaine. Il faut au contraire renforcer les liens bilatéraux et multilatéraux. L'Europe doit être maître de sa destinée, et incarner ses idéaux démocratiques et de solidarité.

Peter Balasz, Ministre de l'Intégration de Hongrie, Membre de la Convention

Les nouveaux membres apportent du dynamisme dans l'économie des Quinze ; les petits vont augmenter la cohésion communautaire. En effet, les petits pays ont encore plus besoin de l'Europe pour faire valoir leurs intérêts dans la mondialisation.

La crise internationale va conduire à renforcer la solidarité communautaire et à consolider de la PESC sur de nouvelles bases. L'établissement de la personnalité juridique de l'Union européenne rendra possible des actions dépendant traditionnellement de différentes procédures. La création d'un poste de ministre des affaires étrangères avec des compétences mixtes est un bon compromis entre les méthodes communautaire et intergouvernementale. Le regroupement des différents articles régissant la politique étrangère dans un seul titre de la constitution permettra de donner une réelle cohérence au contenu. Il ne manque pas autre chose que la volonté commune.

Comme au sein d'une famille, la défense commune doit être naturelle. En tout état de cause, la cohésion interne de l'Union doit être plus forte que l'attraction vers un Etat tiers.

Pervenche Berès, Députée européenne, Membre de la Convention

La crise internationale et l'élargissement de l'Union ont agi comme des révélateurs des interrogations qui existaient déjà à quinze. Il est à noter que les nouveaux membres ont une attitude très positive vis à vis de la Commission au sein de la Convention.

La crise internationale peut stimuler la volonté d'approfondir l'Union. La sécurité a toujours été une question fondatrice de la construction européenne. Actuellement les Européens n'ont pas d'offre crédible de sécurité vis à vis des nouveaux membres. Cela explique que les liens de ces pays avec les Etats- Unis restent très forts, malgré le désengagement des Etats- Unis de l'OTAN.

Il faut reconnaître que la démarche franco-allemande n'a pas été très " européenne " : l'Europe n'avancera pas avec des comportements unilatéralistes. Ce comportement et la " lettre des huit " ont offert à George Bush ce qu'il voulait : que l'Europe montre son incapacité à être un pôle d'un monde multipolaire.

Au sein de la convention, deux questions fondamentales ne sont pas réellement abordées : le lien transatlantique et l'approfondissement du premier pilier. Actuellement, la question de la coordination des politiques économiques ainsi que celle de la fiscalité font l'objet d'un blocage, or cette coordination est nécessaire au fonctionnement du marché.
Si l'on souhaite que cette constitution soit ratifiée, il faut que le progrès dans les domaines économique, social, et de la défense soient visibles.

John Holmes, Ambassadeur de Grande Bretagne

Il y aurait cinq fausses leçons et cinq vraies leçons à tirer de la crise internationale.
Parmi les fausses leçons :
-L'Europe devrait resserrer ses rangs contre l'hégémonie américaine : en réalité, les Etats- Unis sont porteurs des mêmes valeurs que l'Europe, ils sont donc les partenaires des Européens et nos leurs rivaux.
-Il s'agirait d'une bataille entre les tenants d'une Europe puissance contre les " atlantistes " : ces deux visions sont parfaitement conciliables.
-Il faudrait élargir le champ de la majorité qualifiée à la PESC :il est trop tôt pour une politique commune, en particulier quand les Etats jugent que leurs intérêts vitaux sont en jeu.
-Il faudrait créer une PESD indépendante de l'OTAN : l'Europe de la défense doit se réaliser en coopération avec l'OTAN.
-Pour faire face au risque de dilution, il faudrait opter pour un noyau dur : cela amènerait une division de l'Europe

Parmi les vraies leçons :
-Il faut reconnaître que la Convention est arrivée à un résultat ambitieux
-Il ne faut pas limiter l'ambition de la PESC et de la PESD
-Il faut maintenir l'ambition économique
-Il faut mieux définir les objectifs de l'Union
-Il faut choisir un cadre multilatéral, dans la mesure où il ne devient pas un frein à la résolution des problèmes.

Fritjof von Nordenskjöld, Ambassadeur d'Allemagne

Il n'y a pas eu d'unilatéralisme franco-allemand dans l'origine de la crise internationale. Certes, l'anniversaire du traité franco-allemand a été l'occasion de déclarations, mais les Quinze ont établi une position commune lors du Conseil du 27 janvier. La Lettre des huit a été rendue publique après le Conseil des ministres.

Par ailleurs, il n'y a pas d'anti-américanisme dans la démarche des pays européens qui n'ont pas soutenu la position de l'Administration de George Bush. Les Européens veulent être des partenaires des Etats- Unis. La question est de savoir si la réciproque est vraie.

Il est essentiel que l'Union se dote d'une capacité militaire si elle veut être prise au sérieux, même si la puissance militaire seule n'est plus l'élément décisif. Il faut aussi définir clairement les intérêts européens, afin de ne pas renouveler les divergences et atermoiements dont les Européens ont fait preuve dans les Balkans.

Alain Lamassoure, Député européen, Membre de la Convention

Même si la Convention s'arrêtait là aujourd'hui, elle aurait apporté des novations majeures dans la vie de l'Union européenne, notamment sur la méthode. C'est une méthode ouverte et transparente.

La Charte des droits fondamentaux aura valeur constitutionnelle. Il y a un accord sur la répartition des compétences et sur une extension des compétences actuelles à un espace de liberté, de sécurité et de justice. Il y a un accord sur le contrôle du principe de subsidiarité et sur un mode de décision de type fédéral, avec une égalité stricte dans la décision législative entre le Conseil des ministres et le Parlement européen et la disparition de la prise de décision à l'unanimité au Conseil européen. Par ailleurs, les " piliers " vont disparaître.

Deux domaines importants n'enregistrent pas ou peu de progrès : la question du budget européen n'a pas été soulevée et la PESC subit le manque de volonté des gouvernements. Alain Lamassoure estime que le progrès viendra de la détermination par l'Union de ses priorités sur la scène internationale. Actuellement, les Européens se déterminent par rapport à l'agenda américain.

La Convention pourrait encore simplifier l'architecture de la prise de décision et proposer la mise en place un véritable pouvoir politique européen différent des pouvoirs nationaux et ayant sa légitimité démocratique propre. C'est un élément clé pour la réussite des politiques européennes.

Noëlle Lenoir, Ministre des Affaires européennes

En conclusion, Noëlle Lenoir a rappelé que l'élargissement est un cadeau et qu'il faut aborder la construction européenne avec un grand pragmatisme. En effet, l'Europe se pose de multiples questions (modèle économique et social, défense, PESC…), mais elle reste un espace de compromis et d'élaboration de stratégies communes.
Il faut que les Européens se posent ensemble la question de leurs objectifs et des moyens d'assurer leur crédibilité.

Il s'agit à présent pour les Européens de vivre avec leurs différences, ce qui est l'enjeu de la réforme des institutions, et de redéfinir ou d'enrichir la relation transatlantique, sous la forme d'un véritable partenariat. L'Europe veut compter et exprimer une voix autonome mais toujours dans le cadre d'une relation transatlantique car il y a un accord sur l'essentiel. L'émergence d'une défense européenne peut parfaitement s'articuler avec la relation transatlantique.