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Contribution du groupe "Economique et social"


La mise en place de la Convention européenne et la perspective d'une Constitution pour l'Europe unie invite à définir à grands traits le modèle de société dans lequel les citoyens européens souhaitent évoluer. Le groupe "économique et social" du Mouvement européen (France) livre à cet effet les remarques suivantes.


La construction européenne : un projet politique

Le projet de construction européenne tel qu'il prend forme au lendemain de la seconde guerre mondiale est d'emblée un projet d'intégration politique. Le choix de l'intégration économique, sectorielle (charbon-acier) dans un premier temps, puis plus globale ensuite (Marché commun) a permis d'avancer vers cet objectif. A travers l'européanisation de secteurs clés, on créait des liens puissants entre les hommes et les femmes de tout le continent. Soulignons l'originalité de ce qui est à la base de la "Méthode communautaire" : une instance supranationale (la Haute Autorité) articulée à une instance intergouvernementale (le Conseil).


Des acquis sociaux européens à consolider

La relance de la construction européenne au milieu des années 80 s'est faite autour d'un objectif essentiel : la réalisation du marché unique. Elle s'est prolongée au cours des années 90 avec l'objectif de l'union monétaire. Ces étapes de la construction européenne ont été mises en œuvre suivant un calendrier strict et des critères impérieux auxquels les Etats membres ont accepté volontairement de se soumettre. Les dispositions sociales prises au cours de cette période ont eu essentiellement pour rôle d'accompagner et de rendre possible la réalisation de ces objectifs, elles n'avaient pas vocation à en infléchir le cours.
Les années 80 et 90 ont cependant vu des réalisations importantes dans le domaine social qu'il faut souligner.
En terme de proclamation des droits, de 1989 (avec la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs) à 2000 (avec la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'adoption de l'Agenda social européen), l'Union a sensiblement progressé, en accompagnant son effort dans le cas de la Charte de 1989 d'un programme d'action spécifique de la Commission.
En terme de procédures, l'association des acteurs sociaux aux décisions dans le domaine social s'est généralisée, du "dialogue de Val Duchesse" du milieu des années 80 aux premiers accords intersectoriels au niveau européen (congé parental, temps partiel, contrat à durée déterminée). L'inclusion dans le Traité de l'accord sur la politique sociale de 1991 entre les partenaires sociaux européens (articles 137 et suivants du Traité CE depuis Amsterdam), la "méthode ouverte de coordination" mise en oeuvre notamment à travers la stratégie européenne de l'emploi ("processus de Luxembourg"), où les acteurs sociaux européens et nationaux sont invités à alimenter de leurs suggestions et contributions, enfin plus récemment le "Dialogue macro-économique" sur les grands objectifs économiques de l'Union ont sensiblement renforcé la participation des acteurs sociaux dans le domaine social européen.
Il y a donc un acquis communautaire dans le domaine social que l'on ne saurait négliger.
Pourtant, si ces avancées dans le domaine social sont incontestables, il n'en demeure pas moins qu'en ce domaine la prise de décision est difficile : autant pour le grand marché il ne fait pas de doute que la Commission européenne est maître d'œuvre, le calendrier est fixé et que le Conseil décide à la majorité qualifiée, autant dans le domaine social tout est fragmenté et complexe, les procédures multiples.


Fonder une Union économique et sociale, condition de la prospérité et de la démocratie en Europe

L'Union doit faire face aujourd'hui à plusieurs enjeux de première importance. En effet, elle reste à l'heure actuelle une zone de chômage élevé. Les distorsions de concurrence en terme de coûts et de compétitivités vont s'accroître avec l'adhésion des Etats candidats. L'Europe doit, en outre, faire face à un problème démographique qui a des implications tant en terme de retraites que de définition d'une politique d'immigration appropriée. Le développement partout en Europe de mouvements populistes et chauvins, les craintes exprimées par les citoyens des différents Etats de l'Union face au processus de mondialisation/globalisation incitent à apporter des réponses hardies en créant en Europe un espace qui assure aux citoyens européens un cadre de développement personnel et collectif.
La Constitution à laquelle doit aboutir la Convention européenne doit en conséquence reformuler les actuels traités. L'Europe doit conjuguer sans les exclure des termes apparemment antagoniques. Les principes de solidarité et de coopération doivent être explicitement affirmés face aux principes de concurrence et de compétitivité qui président à l'Union économique et monétaire. L'affirmation du principe de subsidiarité doit être tempérée par l'affirmation du principe d'unité de l'Europe.
De même, les objectifs de l'Union européenne doivent conjuguer objectifs économiques et objectifs sociaux dans un ensemble cohérent.

Le projet politique européen est porteur d'un véritable choix de société notamment celui d'un modèle économique et social spécifique qui établit un équilibre entre le marché et l'intérêt général. Cette articulation implique qu'au nom de l'intérêt général, il soit pourvu à un certain nombre de services qui permettent au marché de fonctionner de façon plus satisfaisante pour tous les citoyens et d'améliorer l'environnement des entreprises. Les services d'intérêt général remplissent une mission incontestable de cohésion sociale et d'égalité territoriale, et doivent être mieux reconnus comme facteur important de la compétitivité globale de l'Europe. Les objectifs de l'Union européenne doivent être redéfinis de façon à mieux prendre en compte l'intérêt collectif européen, dont la satisfaction justifie pleinement le développement des services d'intérêt général. Cela doit être désormais inscrit dans les missions de l'UE (article 3 du Traité CE) et la définition de services publics européens cohérents doit être entreprise.

La création de richesses réside dans l'achèvement d'un cadre réglementaire favorable aux entreprises : harmonisation fiscale, brevet européen, soutien à la recherche-développement, développement d'un marché financier intégré (avec notamment des règles prudentielles communes aux banques), un statut d'entreprise européenne élargi et plus attractif,…
Le développement de l'esprit d'entreprise, un des piliers des lignes directrices de l'emploi en Europe, est essentiel pour construire la prospérité économique de demain. Mais entreprendre peut recouvrir diverses formes. L'économie sociale, les coopératives et les mutuelles participent aussi de l'esprit d'entreprise, elles créent de l'emploi, ces formes particulières d'entreprise doivent en conséquence bénéficier elles aussi d'un cadre favorable à leur développement.

Il faut que l'Union européenne soit beaucoup plus active en matière de politique sociale, soit par la voie législative et réglementaire, soit par la voie conventionnelle et contractuelle. Il n'est en effet ni souhaitable sur le plan politique ni optimal sur le plan économique que la politique sociale ne se développe pas au même rythme que les autres politiques de l'Union. Le bon fonctionnement du marché intérieur et la poursuite cohérente de la politique de la concurrence impliquent non seulement une harmonisation fiscale mais aussi le développement de standards sociaux communs à tous les pays membres.
Prolongeant l'objectif d'unification du marché intérieur, et prenant appui sur l'Agenda social adopté à Nice en 2000, il est nécessaire de créer un processus de convergence et de développement des droits des travailleurs en Europe, qui assure des droits également reconnus dans l'ensemble de l'Union, et facilite la mobilité des travailleurs et des personnes.
Les organisations syndicales et patronales ont, en ce domaine, un rôle essentiel d'impulsion. La formation tout au long de la vie, avec des droits à formation attachés à chaque travailleur, pour favoriser le développement des compétences, la mobilité et l'aptitude au travail est un enjeu prioritaire.

Les grandes orientations économiques, et aussi sociales, de l'Union doivent être débattues plus largement. Pour rencontrer l'assentiment des peuples, l'Europe a besoin d'être discutée et débattue, au-delà des institutions formellement investies de responsabilité en ce domaine, et au-delà des consultations démocratiques. L'Europe a besoin de devenir aussi un espace public de discussion et de débat. Les partis politiques européens sont des acteurs importants de la vie publique, mais les organisations professionnelles européennes (d'employeurs comme de travailleurs) et les réseaux associatifs européens doivent, eux aussi, voir leur rôle reconnu dans la démocratie européenne naissante.

La stratégie européenne de l'emploi a fourni un cadre où a été possible l'investissement dans un dossier européen qui leur était précédemment étranger de nombreux responsables patronaux et syndicaux à travers un échange de contributions et de bonnes pratiques. Nous suggérons que fort de cette expérience, un débat décentralisé dans toutes les régions de l'Union européenne soit lancé sur les grands chantiers de l'Union européenne. Le Mouvement Européen-France est favorable à un approfondissement du processus de Luxembourg et de la "méthode ouverte de coordination": des objectifs chiffrés sont fixés au niveau européen suivant un calendrier strict, les Etats membres les mettent en œuvre selon des modalités propres en échangeant entre eux les "bonnes pratiques", une évaluation régulière des résultats permet d'apprécier avancées et difficultés. Il faut à présent avancer dans cette voie, avec l'objectif de "société de l'information et de la connaissance" fixé à Lisbonne (printemps 2000).

La proposition périodique et régulière par les institutions européennes d'objectifs économiques et sociaux soumis au débat des citoyens et l'adoption suivant un agenda précis de critères de convergence sociaux (en terme de niveau) sont des moyens de rendre tangible l'intérêt de la construction européenne pour tous les Européens, tout en s'assurant de leur participation.

Nous proposons :
- des objectifs économiques et sociaux soumis à un large débat public
- l'établissement de critères de convergence sociaux

Une Europe forte et ouverte sur le monde

L'Europe est dans une phase historique : son unification. L'intégration aux pays d'Europe centrale et orientale est un devoir historique, une nécessité politique et un formidable défi économique dont tous (actuels Etats de l'Union et pays candidats) peuvent être à terme gagnants. Cela suppose un effort accru des actuels Etats membres pour faciliter l'insertion dans l'ensemble européen de ces pays. Mais cela doit se faire dans la clarté : l'adhésion à l'Union européenne est plus que l'adhésion à un marché, c'est l'adhésion à un projet d'union politique au service d'un modèle économique et social déterminé, qui allie liberté d'initiative économique, dialogue social et niveau élevé de protection sociale pour tous.
Pour affirmer sa présence dans le monde, répondre positivement aux enjeux de la mondialisation et du développement durable, et promouvoir le modèle européen de société, l'Union européenne doit peu à peu parler d'une seule voix sur la scène internationale, particulièrement dans les grandes organisations économiques et financières.
Les Etats membres doivent donner les moyens à l'Union européenne de jouer sur la scène mondiale un rôle moteur pour une mondialisation maîtrisée qui allie développement économique, normes sociales minimales et respect de l'environnement.

Nous proposons :
une représentation unique par l'UE des Etats membres dans les organisations économiques et financières internationales


Vers une Europe fédérale

Pour ne pas manquer son rendez-vous politique historique et réaliser les différents points ci-dessus, l'Europe a besoin d'un véritable gouvernement, légitime et démocratique. Face à une mondialisation dont les effets induits, notamment sur le plan social, sont encore mal maîtrisés, l'Union européenne a besoin d'une coordination efficace des politiques économiques et sociales, et d'une véritable synergie des actions entreprises au niveau national. La fixation et le respect d'un cadre budgétaire commun sont donc une première étape en ce sens. Le Mouvement Européen-France appelle de ses vœux une évolution de cette coordination budgétaire minimale vers un véritable gouvernement européen permettant à l'Union de disposer des instruments nécessaires à une croissance équilibrée et durable de son économie et un développement de ses citoyens. L'Union doit pouvoir disposer de l'autonomie budgétaire et des ressources nécessaires à l'accomplissement de ses missions démocratiquement définies, y compris par l'impôt et l'emprunt. Le Mouvement Européen est donc favorable à la transformation des ressources de transferts en ressources fiscales propres.

Toutefois, si le rôle d'un gouvernement de l'Union est d'impulser des dynamiques et de définir des cadres généraux pour l'action, les Etats membres et les entités territoriales infra-nationales d'une part, les organisations syndicales et patronales pour les affaires sociales et du travail d'autre part, doivent largement demeurer, suivant les principes de subsidiarité et de proportionnalité, chargés de l'application et de la mise en oeuvre concrète.

Nous proposons :
- la mise en place d'un gouvernement de l'UE
- des ressources propres à l'UE pour mettre en œuvre les politiques européennes