Le 25 mars 2007 l’Europe a f�t�
ses cinquante ans. A Berlin, Mme Merkel
a pris les choses en mains et mis d’accord
ses 26 partenaires sur un texte lisible,
bref. Herzlichen Gl�ckwunsch ! Brava
! On devrait toujours s’adresser
� des sp�cialistes et, c’est
bien connu, pour f�ter les anniversaires,
rien ne vaut l’Allemagne. Devant
tous ceux qui, autour d’elles, ont
permis ce beau r�sultat, chapeau
bas.
Dans le texte officiel, quelques perles
m�ritent d’�tre signal�es
: le rappel de la dignit� humaine
et une insistance sur la libert�
qui, � Berlin, prend un sens tout
particulier. Avez-vous d�j�
vu des photos du Reichstag en 1945, ce
champ de ruines et de d�combres
o� errent quelques humains hagards
? Et, non loin de l’endroit o�
la photo de famille a �t�
prise, sous le soleil p�le du printemps,
des croix, align�es le long de
la trace de l’ancien mur, marquent
le souvenir des fugitifs de l’Est
qui n’ont pas eu la chance de parvenir
� l’Ouest.
Ce 25 mars, l’�galit�
hommes / femmes portait un tailleur orange
qui tranchait singuli�rement avec
leurs costumes gris. Et, cerise sur le
g�teau, la fin du texte rappelle
la n�cessit� de sortir de
la crise cr��e par le rejet
du trait� constitutionnel en France
et aux Pays-Bas. Avec une date �
la cl� : les �lections europ�ennes
de 2009. Une deuxi�me fois, chapeau
bas.
Si, � Paris, les autorit�s
officielles ont observ� un silence
assourdissant, si le pays de Monnet et
Schuman continue d�sesp�r�ment
de bouder son bonheur europ�en,
en ne f�tant pas plus ce cap qu’il
n’avait c�l�br�
l’arriv�e des nouveaux Etats
membres, nos partenaires s’en sont
donn� � cœur joie.
C’est � Berlin et �
Rome que la f�te a battu son plein.
Mais � travers la presse, sur les
cha�nes de t�l�vision
et � la radio, la comm�moration
a �t� abondamment nourrie,
dans toute l’Europe.
Deux grands journaux europ�ens
ont eu la m�me id�e : donner
� 50 raison d’aimer l’UE
� (The Independant, 21 mars) et
�50 motifs d’aimer une cinquantenaire
� (Le Corriere della sera du 25).
Se sont-ils inspir� mutuellement
? Peu importe. Aux Anglais, le plus grand
coup de chapeau. Pour avoir particip�
� un d�bat � Londres
(1) deux jours avant cette publication,
je peux confirmer combien la d�marche
est hardie : la liste figure en une, autour
du drapeau europ�en. Schocking
! Outre-Manche, un d�put�
conservateur nie en public, sans peur
du ridicule, que l’Europe ait apport�
la paix ; une chercheuse du m�me
camp �nonce froidement que l’appartenance
� UE �tait dans l’int�r�t
de son pays quand il allait mal, dans
les ann�es 70 mais ne l’est
plus depuis que ce sont les autres qui
vont mal. Belle conception de la solidarit�
! Mais bravo les Italiens qui, �
d�faut de prendre le m�me
risque, ne manquent pas d’humour.
Et l’Europe a imp�rativement
besoin d’humour pour regarder cette
construction europ�enne avec des
yeux plus d�tendus.
La comparaison des deux listes est amusante
: on y retrouve les grands classiques
: la paix bien s�r, les r�alisations
�conomiques ou un rectificatif
bienvenu sur le nombre limit� des
fonctionnaires europ�ens (moins
nombreux que le staff de la BBC mais le
double de celui de la RAI-TV). Acte manqu�
? Le journaliste italien commence par
rappeler que le trait� a �t�
sign� � Rome… amusante,
cette entr�e en mati�re
un tantinet nationaliste pour un article
� la gloire de l’Europe.
Mais la suite est bon enfant. Notamment
la raison 14 qui rappelle toutes les arri�re-pens�es
des uns contre les autres pour finir en
auto- d�rision italienne sur la
gestion publique. Les Anglais insistent
un peu plus sur l’influence globale,
les Italiens sur l’am�lioration
des conditions de vie (de meilleurs restaurants
partout en Europe). L’abolition
de la peine de mort figure dans les deux
listes ; le Corriere souligne bri�vement
une v�rit� d’importance
� la cour de justice n’applique
pas la charia �. Jolie et sobre
mani�re de nous rappeler que l’Europe
est, dans le monde, un oasis de droits
de l’homme dans un d�sert
brutal. La meilleure chute appartient
� The Independant, ravi de faire
marcher les eurosceptiques, m�me
si j’aime beaucoup deux plaisanteries
du journal milanais : la premi�re
consiste � dire que les b�timents
communautaires sont tellement laids qu’ils
en sont presque beaux. L’autre est
infiniment plus profond : le point 10
milanais insiste sur les avantages de
la libre circulation en pr�cisant
que, pour aller passer un week-end en
amoureux dans un autre Etat membre, la
libre circulation a �t�
assur�e mais que le conseil europ�en
ne fournit pas le fianc�…Jolie
formulation de la r�partition des
comp�tences. Si je n’avais
pas d�j� �crit l’Europe
pour les Nuls, je l’aurais reprise
: de l’Europe, il ne faut pas tout
attendre. Elle pose un cadre. Pour le
reste, laissons la vie jouer.
Cela dit, les journalistes anglais et
italien ont oubli� une chose :
le plus beau cadeau de l’Europe,
c’est la complicit� humaine
par-del� les fronti�res
qu’elle a tant facilit�e.
Elle permet d’�tre paresseux
tout en �tant bien inform�.
Sans elle, je n’aurais pas pu �crire
ce billet puisque ce sont des amis europ�ens
qui m’ont signal�s ces deux
articles.
D’o� mon vœu le plus
cher pour les 50 prochaines ann�es
: que tous les Europ�ens aient
la chance de go�ter un jour la complicit�
par del� les fronti�res,
d’avoir partout en Europe des amis
chers. Avoir pu f�ter les 50 ans
de l’Europe avec un ami �
�tranger �, avec l’un
de ses artisans les plus actifs, en �changeant
sur tout et sur rien, fut pour moi un
vrai bonheur. J’aime cette mani�re
qu’ont les Europ�ens de voir
les m�mes choses avec des regards
diff�rents, de se fixer les m�mes
buts sans concevoir le m�me moyen
d’y parvenir, et aussi ce besoin,
si propre � certains repr�sentants
de notre continent rationnel et divers,
de trouver la nuance. Mon interlocuteur
redoute en parlant fran�ais, de
perdre les nuances. Outre que son fran�ais
est excellent, j’aimerais lui faire
comprendre combien, dans chacune de nos
conversations, il en ajoute...
Une 51�me bonne raison d’aimer
l’Europe, c’est ceux qui y
vivent et qu’on aime.
Sylvie Goulard,
Pr�sidente du Mouvement Europ�en-France
1 D�bat Thank God for Europe,
British Museum, organis� par le
Financial Times et Intelligence squared
le 19 mars 2007