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Réunion- débat du CFCE
Europe centrale : Etat des lieux
Paris, le 25 février 2003


Ce compte- rendu est proposé à titre indicatif et n'engage pas la responsabilité des personnes citées.


Pour Jean- Pierre Pagé, Consultant au CERI, le tableau de bord Europe centrale et orientale 2002, réalisé par le CERI, montre la bonne résistance d'ensemble des PECO à la crise mondiale. Leur taux de croissance est élevé (plus de 3% en moyenne). Les pays d'Europe centrale ont certes été touchés par le ralentissement de l'activité économique de leurs clients, mais la demande interne a pris le relais et les exportations se sont maintenues à un niveau élevé.

En 2001, les exportations de l'Europe centrale ont augmenté de 11% et les importations de l'UE ont augmenté de 1% seulement, ce qui traduit une augmentation des parts de marché des pays de l'Europe centrale. Cette bonne compétitivité des pays d'Europe centrale (PEC) ne tient pas à un effet de change. Au contraire, leurs monnaies ont plutôt connu une appréciation nominale et réelle. Le processus de désinflation s'est poursuivi dans tous les PEC, sauf en Hongrie, où l'inflation atteint toujours 5%.
Ces pays ont les atouts d'un système productif rénové et restructuré, ainsi qu'une main d'œuvre qualifiée et bon marché.

La bonne tenue des balances courantes est à souligner. Celle-ci est due aux résultats du commerce extérieur, dont le déficit est facilement couvert par les entrées d'investissements directs étrangers (IDE), qui n'ont pas souffert de la crise mondiale. En effet, ils ont augmenté de 25% par rapport à l'année 2001. Une forte hausse des IDE a été constatée en République tchèque et en Slovénie, en lien avec les privatisations, alors que ce flux s'est ralenti pour la Pologne et la Hongrie qui étaient beaucoup plus avancées dans le processus de privatisation.

Les PEC sont confrontés à certains problèmes communs, en particulier l'insatisfaction des populations qui n'ont pas profité des bénéfices économiques. Ainsi le taux de chômage frise les 18% en Pologne et en Slovaquie ; le taux de chômage des jeunes atteint les 40% en Pologne. Les inégalités sociales et régionales sont croissantes, et la pauvreté augmente, notamment en Hongrie et en Pologne où la part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté atteindrait 15% de la population.
Le PIB moyen par habitant des PEC correspond à 46% du niveau de l'Union européenne. Cet écart est beaucoup plus important que celui qui existait lors des précédents élargissements. Actuellement, seules la Pologne et la Slovaquie ont un PIB nettement supérieur à leur niveau de 1989, la Hongrie l'ayant un peu dépassé et la République tchèque ayant atteint le même niveau de PIB qu'en 1989.

Cependant, les perspectives sont prometteuses. Le rattrapage à accomplir est encore important, ce qui nécessite un effort de solidarité de la part des membres de l'Union. Il convient de ne pas comparer l'élargissement au PEC à l'intégration de la RDA, car ces pays sont à présent fortement transformés et compétitifs.


Jacques Sapir, Directeur de recherche à l'EHESS, a insisté sur l'importance des relations économiques entre les PECO et la Russie.

L'Union représente environ 35% du commerce extérieur russe, la CEI 22% et les PECO représentent entre 12 et 15%, ce qui est très important si l'on considère la taille très inférieure des marchés et le niveau de PIB de ces pays. Les relations PECO- Russie sont encore plus profondes que ces chiffres ne le laissent paraître. En effet, la dépendance énergétique (pétrole, gaz, électricité) vis à vis de la Russie est très importante et cette dernière a massivement investi dans ces pays (énergie, chimie lourde, métaux…). Par conséquent, avec l'adhésion des pays candidats, les groupes russes seront directement présents dans l'Union européenne.

Pour de nombreux pays limitrophes de la Russie, la stabilité économique et politique est liée à ces flux économiques, et notamment au commerce " en navette " permis par la perméabilité des frontières et rarement déclaré. Dans le cas polonais, la mise en place du système de Schengen et son application stricte mettraient un terme au flux de main d'œuvre saisonnière (venue d'Ukraine et de Biélorussie) dont l'agriculture et l'industrie forestière ont besoin. Pour les régions frontalières d'Ukraine et de Biélorussie qui trouvaient là un moyen de subsistance, les conséquences sociales et donc politiques pourraient devenir très importantes. Actuellement, l'Europe dispose de peu de chiffres sur l'importance de ces échanges et de ces " trafics ", la seule donnée " objective " étant la longueur des embouteillages de camions à la frontière lorsque les douaniers décident de contrôler les véhicules (…).

L'intégration soulève aussi d'autres questions, notamment celle du rôle de l'euro comme monnaie internationale. Cette monnaie est déjà importante pour les Russes et avec l'adhésion, la question de l'euro va se poser (en termes de réserves, de taux de change…). Par ailleurs, la Russie pourrait réagir à l'élargissement de l'Union européenne en promouvant une zone économique intégrée " euro-asiatique ", avec l'Asie centrale, la CEI, l'Ukraine… Dès lors, il faut s'interroger sur la façon dont ces deux intégrations peuvent se combiner.

Pour Jacques Sapir, nous sommes en présence d'une " nouvelle donne " dans la construction européenne. En effet, le fonctionnement des institutions n'est pas compatible avec l'élargissement et le cadre macro- économique déterminé à Maastricht et le pacte de stabilité ne conviennent plus à tous les pays.

De surcroît, la crise irakienne ne serait pas une péripétie de la construction européenne mais bien la marque d'un effritement de l'édifice européen. Le risque pour l'Europe est de se retrouver dans la situation qu'elle a connu lorsqu'elle était " divisée " entre CEE et AELE, tenants d'une Europe plus intégrée politiquement et tenants d'une zone de libre échange. On retrouve actuellement cette distinction entre le projet d'Europe puissance et la tentation de la dilution dans un grand marché.

Analyse par pays

Les pays d'Europe centrale ont un développement institutionnel très proche de celui des Etats membre de l'Union. Ces progrès sont directement liés à la transposition de l'acquis communautaire. La Hongrie est la plus avancée dans ce processus, même s'il lui reste des efforts à faire en matière de gouvernance publique (notamment en raison de collusions entre certaines entreprises et l'Etat).

Au titre des points faibles des pays d'Europe centrale, on peut citer quelques traits communs : les problèmes de corruption subsistent, ainsi que certaines lourdeurs administratives, l'accès au crédit n'est pas toujours aisé pour les PME, et les inégalités régionales demeurent fortes.

La Pologne

Pour Marc Bouteiller, Chef du Poste d'expansion économique (PEE) de Varsovie, la Pologne est perçue en France de façon contrastée, non seulement sur le plan de ses décisions de politique internationale, mais aussi sur celui de son économie. Longtemps présentée comme le tigre des PECO, la presse la qualifie parfois maintenant de lanterne rouge. Or la Pologne reste un pays de devenir. Le ralentissement qu'elle connaît depuis deux ans serait essentiellement dû à la politique de rigueur menée par le gouvernement.

Au nombre des points sensibles, la Pologne souffre d'une faible croissance consécutive à la crise russe (1999- 2001), et serait à présent dans une phase de reprise.
Le taux de chômage est encore élevé. La forte croissance avait permis de réduire ce chiffre, mais nous assistons depuis 1999 à la montée " inexorable et structurelle " (notamment pour des raisons de pyramide des âges) du chômage. Les chômeurs représenteraient environ 20% de la population active et constituent une réserve de main d'œuvre qui pèse sur les salaires réels.
Les taux d'intérêt sont pénalisants. En effet, la décision d'augmenter les taux d'intérêt pour limiter l'inflation a conduit à un taux d'intérêt réel en 2001 de 12%. Actuellement, ce taux est à 6%, mais il se situe autour de 2% dans les autres pays d'Europe centrale et orientale.
Les déficits publics se sont accrus en 2001 et 2002. Au delà de l'impact des décisions " pré-électorales ", les causes de ces déficits sont aussi explicables par ralentissement des exportations. L'affectation des dépenses publiques reste problématique. Par exemple, les investissements dans les infrastructures sont assez faibles.
Concernant les investissements, le tableau n'est guère plus satisfaisant, 2001 et 2002 ayant été des années négatives. 2003 pourrait être l'année de la reprise.

La Pologne compte un certain nombre de points forts. Si les taux d'intérêt sont élevés, l'inflation a été maîtrisée (elle est passée de 18% en 1996 à 0% aujourd'hui).
Les salaires réels ont progressé (2,4% en 2002) mais la spirale prix-salaire des années 1990 est terminée.
Le coût unitaire du travail est à la baisse, quelle que soit la conjoncture et malgré la hausse des salaires, ce qui est une conséquence de la politique de désinflation compétitive.
Les exportations ont repris malgré une conjoncture internationale défavorable et les déficit des comptes courants ont été réduits.
La consommation des ménages connaît une légère croissance, liée à la pluriactivité.
Par ailleurs, l'aide européenne est d'une importance significative pour l'économie polonaise. Dans l'ensemble, les réformes structurelles ont été menées à leur terme (libéralisation du zloty, réforme des retraites, assainissement du secteur financier…). Les entreprises européennes ont beaucoup investi en Pologne : en 2003, le stock d'IDE devrait atteindre 65 milliards d'euros.
La Pologne entamerait donc son retour vers un chemin de croissance tendancielle de 4% par an. On peut donc envisager pour la Pologne après son adhésion un scénario " à l'Espagnole ".

Pour Jean- Pierre Pagé, ce pays a connu des crises, notamment depuis 2000, en raison de la nouvelle politique de rigueur qui a fait descendre trop vite le niveau de l'inflation. Cependant, les fondamentaux de la Pologne restent bons. La faible croissance est surtout due à des erreurs de politique monétaire. L'accent a été trop placé sur la réduction de l'inflation, ce qui a poussé le gouvernement à mettre en place une politique restrictive avec des taux d'intérêt élevés qui ont eu un effet dissuasif pour les entreprises. Cela a entraîné une chute de l'investissement en 2001 et 2002 à un moment où la conjoncture internationale était déjà faible. Dans le même temps, la Pologne a procédé à beaucoup de réformes coûteuses.

La situation s'améliore néanmoins. On note en particulier une reprise de la consommation privée et une accélération légère de la croissance. Les choix de politique économique restent peu clairs : malgré la baisse des taux d'intérêt, ceux-ci restent élevés et dissuasifs. Par ailleurs, les orientations budgétaires choisies dans la perspective d'entrée dans la zone euro ne vont pas dans le sens de la croissance.

La Slovaquie

Pour Dominique Lapierre, Représentante du PEE de Slovaquie, ce pays se trouve dans une dynamique libérale, le gouvernement de centre droit étant au pouvoir jusqu'en 2006. Sa politique est très favorable aux investissements étrangers. La libéralisation des marchés est achevée, le programme de privatisation est bien avancé, et le code du travail a été amendé en concertation avec les syndicats. L'impôt sur les société a été abaissé et la taxe professionnelle est inexistante.
La main d'œuvre est qualifiée, avec une forte culture industrielle, une éducation secondaire très importante et un enseignement professionnel de qualité. De forts déséquilibres régionaux subsistent cependant en matière de chômage.
La Slovaquie a connu une stabilisation macro-économique en 2002 (croissance de 4,3% et croissance industrielle de 10,2%). Si le déséquilibre extérieur persiste, il est cependant en voie d'amélioration.

L'économie slovaque est tournée vers l'Union. Il s'agit d'un tout petit marché de 5 millions d'habitants, avec un PIB de 48% de la moyenne européenne. Les programmes communautaires de pré-adhésion ont été relativement importants : 57 millions d'euros pour Phare, dont 35 millions en investissement.

Il existe un fort consensus en faveur de l'adhésion.

Aude Hapiot, du CERI, a souligné que le boom des investissements étrangers touchait à son terme avec la fin des privatisations. Le gouvernement tente de maintenir l'attractivité de la Slovaquie en développant des parcs industriels et des aides fiscales. Il convient de noter que de lourdes compétences ont été dévolues aux collectivités locales, qui n'ont pas toujours les moyens de les financer. Elles devraient donc rechercher des moyens de financements, et notamment des partenariats public- privé.


La République tchèque

Après une crise en 1997- 1998, l'année 1999 a été marquée par une nette amélioration, liée à la restructuration du système bancaire. La croissance serait proche de 3% depuis 2000. Selon Florence Dobelle, du PEE de Prague, la République tchèque est un pays très ouvert. Les exportations industrielles représentent environ 60% du PIB. L'Union absorbe près de 70% des exportations tchèques, dont 40% pour la seule Allemagne. La crise qui touche l'Allemagne a poussé la République tchèque à développer ses activités vers d'autres marchés, notamment le marché français.
Une forte intégration régionale est maintenant visible dans les échanges de la République tchèque (cf commerce intra- branche).
Les Investissements étrangers couvrent sans difficulté les déficits du compte courant. Ces investissements ne sont pas seulement liés aux privatisations. Les investissements représentent 40% du chiffre d'affaires industriel en République tchèque.
La République tchèque prévoit d'entrer dans la zone euro au plus tard en 2010.
Quelques points sombres sont à noter, notamment les lourdeurs administratives, les problèmes d'attribution des marchés publics, ou encore la mauvaise préparation des collectivités à la réception des fonds structurels.

Aude Hapiot a insisté sur les effets secondaires des investissements, dont l'abondance (en particulier des investissements de portefeuille) était désormais un facteur de perturbation de l'économie et avait conduit à une forte appréciation de la monnaie nationale.

La Hongrie

Tania Sollogoub, Economiste au Crédit Lyonnais, a rappelé que les trajectoires de croissance des PECO sont très diverses et qu'il ne faut pas considérer cette zone comme un " bloc ". Si l'on considère les déficits structurels de ces pays (entre 3 et 4% du PIB hors conjoncture), on constate que la politique budgétaire est inutilisable en cycle bas. Or la politique monétaire est neutralisée dans beaucoup de ces pays, en particulier dans un contexte de déflation pour deux des pays d'Europe centrale.

Concernant la Hongrie, on peut noter un décalage entre de très bonnes structures et une conjoncture faible. Une politique de rigueur a été la réponse apportée par le gouvernement à la crise de 1995, dans le but de favoriser les investissements étrangers et de mettre en place un plan de restructuration. La Hongrie a ainsi acquis une forte crédibilité auprès des investisseurs internationaux. Après une année de croissance soutenue en 2001, l'économie hongroise a connu un nouveau ralentissement, mais elle a pu tirer profit des marges de manœuvre gagnées avant. La croissance de la Hongrie est saine et régulière depuis 1997. cette régularité est liée à l'ouverture aux exportations, dont la valeur ajoutée a fortement augmenté. Le développement des flux intra- branches la place dans une situation identique à celle des pays membres de l'Union européenne. Cette régularité est également liée à celle du taux d'investissement. Les IDE sont au cœur de la trajectoire hongroise. La présence étrangère en Hongrie est forte et résulte d'un choix politique : elle représente 80% des exportations, 30% du PIB et 40% des emplois.

La Hongrie est sortie du surendettement, ce qui constitue un cas exemplaire, cependant la dette publique reste préoccupante. On pourrait comparer la Hongrie à l'Irlande lors de son adhésion à l'Union. La Hongrie s'est spécialisée sur des secteurs porteurs (électrique et optique). On remarque un effort de formation et une amélioration du capital humain.

Cependant, la Hongrie est dans une situation d'urgence budgétaire : il lui faut réduire son déficit et sortir de la paralysie sa politique monétaire. On constate également de forts déséquilibres sectoriels, régionaux et sociaux, en fonction des industries qui attirent ou non les IDE. Les fonds structurels européens vont-ils permettre de lutter contre ces déséquilibres ?

De manière générale, on remarque un problème de polarisation des IDE sur les capitales. Les régions périphériques ne profitent donc pas d'un essaimage des IDE et connaissent un fort taux de chômage.