Le coq et la perle
(Cinquante ans d’Europe) par Sylvie Goulard
Sylvie Goulard est d�sormais � la t�te du Mouvement Europ�en France � l’issue d’un d�bat interne constructif o� elle l’a emport� sur son plus connu pr�d�cesseur et ancien ministre m�ritant, Pierre Moscovici.
Son dernier livre �� Le coq et la Perle�� n’�tait pas encore paru mais sans doute la position qu’elle y adopte aura-t-elle contribu� � son succ�s.
La nouvelle et jeune pr�sidente, en �narque et enseignante au Coll�ge d’Europe de Bruges, proc�de avec la m�thode et les techniques universitaires, recourant � une riche et f�conde documentation. Dans une langue �l�gante et vivante, ni de bois ni de coton elle nous offre tour � tour une page de la construction europ�enne, un r�quisitoire sans concession et un plaidoyer encourageant.
Un constat d’abord�: les p�res fondateurs dont les m�nes sont abondamment et judicieusement invoqu�es, ont cr�� une Europe qu’ils voulaient ��communautaire�� solidaire et non ��intergouvernementale�� soumise � la pr�gnante���raison d’Etat�� que la diplomatie relaye � l’accoutum� .
Bien qu’on puisse imaginer les Monnet, Schuman, Spaak et bien d’autres b�tisseurs d’Europe laissant remonter leur d�ception, Sylvie Goulard ne s’abandonne pas � la nostalgie pas plus qu’� une st�rile confrontation des ��Anciens�� et des ��Modernes��. De Conseil de l’Europe
en CECA, de la CEE � l’UE�; des ��p�res fondateurs�� si efficaces en d�pit parfois d’une f�condante et audacieuse na�vet� � l’actuel dispositif institutionnel d’apr�s Maastricht, Amsterdan ou Nice. Souvent vilipend� injustement par les tenants d’un nationalisme qui veut ignorer la menace d’un d�clin qui se profile inexorablement…la construction europ�enne continue tant bien que mal , cahin-caha au risque constant de verser dans l’orni�re…
Les Anciens ont poli la perle, les modernes la laissent dans l’�crin sur la commode et sp�culent en la caressant de temps en temps sans songer � la monter sur une ambitieuse parure.
L’auteur accuse�: la volont� politique des dirigeants nationaux leur fait d�faut, pr�occup�s qu’ils sont par leurs probl�mes ��locaux�� pourtant comparables dans toute l’Union, face au Monde en pleine� r�organisation �conomico-politique . Et de montrer a contrario ce que les Institutions permettent quand elles sont cr�dibles parce que clairement identifiables � l’ext�rieur (Commission, Commissaire, Banque Centrale….)
On lui objectera peut-�tre que cela n’est pas per�u comme cela� par les citoyens, � l’int�rieur. A qui la faute�? Sans mauvaise foi, on le sait�: c’est l’absence de vision communautaire et le ��nombrilisme�� qui poussent souvent � faire de l’Europe le bouc �missaire des �checs nationaux et l’alibi au repli nationaliste.
Parmi les accus�s la France est dans le premier box�: si la perle communautaire y a �t� trouv�e, depuis notre pays���a davantage jou� un r�le de frein que d’acc�l�rateur�� (Maurice Faure). Les exemples ne manquent pas, du rejet de la CED en 1954, des r�ticences fran�aises lors des discussions pr�alables au trait� de Rome, ��la chaise vide�� de 1965, la m�fiance r�currente de Val�ry Giscard d’Estaing et de Fran�ois Mitterrand, pourtant tous deux Europ�ens convaincus et actifs, � l’�gard de la Commission etc. jusqu’au rejet du Trait� de Constitution Europ�enne. Il faut y ajouter une diplomatie fran�aise jalouse et m�fiante envers la libert�…� l’image d’une ��nation affol�e d’�galit� (Tocqueville). Le grief qui pourrait r�sumer le r�quisitoire d�nonce une certaine mentalit� d’ailleurs assez paradoxale�: les eurosceptiques fran�ais placent leur espoir dans l’Europe. Leurs �crits, leurs communications, leurs discours regorgent de r�f�rences � l’Europe.
Enfin et c’est plus r�jouissant, il reste de �� chantiers � ouvrir�� pour faire rebondir l’Europe. En premier lieu mart�le Sylvie Goulard la d�mocratie doit �tre prise au s�rieux et il faut d�passer les multiples d�clarations solennelles r�affirmant sans cesse des valeurs et des ambitions sans engagement � produire des r�sultats tangibles . (L’auteur au moment o� elle nous livre sa r�flexion ne conna�t �videmment pas la d�claration de Berlin du 25 mars).
Au-dessus d’une Europe ��terre � terre��, il est une Europe qui �� a soif d’id�al��, de sens� et qui ne peut se complaire dans un bilan trop maigre de 15 ann�es d’Europe intergouvernementale.
Reste la question de l’Identit� que l’auteur n’esquive pas.
Quelques citations glan�es dans le livre o� elles sont� scrupuleusement r�f�renc�es, peuvent l’�clairer � loisir.
Paul-Henri Spaak, socialiste agnostique�:���Nous sommes les hommes d’une m�me civilisation qui s’appelle la civilisation chr�tienne��.
Elie Barnavi, historien, ancien ambassadeur d’Isra�l � Paris, qui se dit ni chr�tien, ni croyant�:���On n’�chappera pas � l’Histoire en la niant….Le r�sultat c’est que l’Europe est s�rement une r�alit� �conomique, peut-�tre un projet politique mais pas une entit� culturelle… Or pour moi, c’est une �vidence d’historien�: l’Europe est divis�e en cultures, en langues mais repose sur un substrat de civilisation commune. Le refus de reconna�tre les racines chr�tiennes est consternant…�� et on est loin des propos du G�n�ral de Gaulle qui �voquait une���Europe de chr�tiens de race blanche��.
Pour autant, il ne s’agit surtout pas pour l’auteur, de nier l’apport fondamental et plus que mill�naire du juda�sme, de la pens�e grecque, l’h�ritage de Rome, de la Renaissance, de la R�forme, des Lumi�res, de la R�volution et les contributions plus r�centes venues d’autres continents…
Alors que faut-il faire�?
Apr�s son brillant expos� de l’Histoire de� la construction europ�enne, des griefs qu’elle fait � la m�thode trop attentiste des �� intergouvernementaux�� mais aussi des suggestions constructives qu’elle y d�veloppe, Sylvie Goulard emprunte sa conclusion� et sa r�ponse aux propos d’un ��p�re fondateur��, Jean Monnet, qui, peu avant sa mort, � la m�me question r�pondait�:��� continuer, continuer, continuer��.
Antoine Spohr.
Vice-Pr�sident du Mouvement Europ�en Alsace